“Ça touche trop à l’intime” : les consommateurs de sites porno inquiets pour leur anonymat

La mise en place de solutions de contrôle de l’âge inquiètent les consommateurs et les spécialistes, qui redoutent une fuite de données. 
Si je dois renseigner mon identité de manière pure et dure, en donnant ma carte par exemple, c’est mort. Je n’irai plus”, s’insurge Alban*. L’étudiant de 22 ans y voit une intrusion dans son intimité. “Quand je vais sur des sites porno, je me mets toujours en navigation privée, c’est un réflexe que tout le monde a. Ça me donne l’impression d’effacer toute trace de mon passage”, confie le jeune homme. Conscient que cette technique ne garantit tout de même pas son anonymat, il estime que donner sa carte bleue ou sa carte d’identité à ces sites, “c’est quand même plus concret”.

Une industrie peu scrupuleuse à la sécurité faillible 

Et la garantie d’anonymisation, il n’y croit pas une seconde. “Imagine, s’il y a un bug, un hack”, s’alarme-t-il. Allan Kinic, spécialiste en cyber-sécurité, émet lui-même des doutes : “il est impossible de garantir l’anonymat à 100% de l’utilisateur. Personne n’est anonyme sur internet”. Ce scénario inquiète l’avocate en protection des données personnelles Hélène Lebon, qui craint notamment “un risque de chantage”. Elle se souvient d’une affaire en 2015 où les données d’un site de rencontres entre personnes mariées, pour tromper leurs conjoints, Ashley Madison, avaient fuité. “Il y a eu des suicides, des politiciens américains qui se présentaient en rois de la vertu se sont fait chopper et on dû démissionner”. 

D’autant que la fiabilité de ces sites est discutable, pour Alban. Vidéos volées, revenge porn, voire viols filmés… “La majorité des vidéos qui sont sur ces sites ne sont pas censées être là”, explique le jeune homme. Pas question pour lui de donner son identité à des entreprises aussi peu scrupuleuses. L’avocate Hélène Lebon pointe un autre problème : “Ces sites ne sont pas implantés en France, ni dans l’Union européenne. Le contrôle des garanties d’anonymisation sera plus difficile.” Allan Kinic estime de son côté que la solution la plus sûre est la mise en place d’une plateforme de vérification universelle, “qui permet de sécuriser les données, comme pour la banque. Si elle n’est pas universelle, rien ne peut assurer que le site mette en place les éléments de sécurité suffisants”.

L’intérêt de l’enfant justifie l’atteinte aux données personnelles

Malgré ces risques qui pèsent sur la protection des données personnelles des utilisateurs, la Cour d’appel de Paris justifie sa décision en invoquant “l’intérêt supérieur de l’enfant”. Hélène Lebon explique que “la protection des libertés individuelles (comme les données personnelles, N.D.L.R) est une liberté fondamentale. C’est important mais selon la loi, cela doit être mis en balance avec d’autres intérêts, comme celui de l’enfant, en l’occurrence”. Cela explique en partie que la Cnil puisse accepter des moyens de contrôle de l’âge “un peu limite”, selon l’avocate. Ainsi, le régulateur de la protection des données personnelles s’est dit favorable à des solutions provisoires en février 2023, “dans l’attente du déploiement de systèmes plus vertueux”. A savoir la vérification par validation de la carte de paiement, ou des procédés d’estimation de l’âge par une analyse des traits du visage. Cette idée fait bondir Alban. “Montrer ma grosse gueule, comme ça ? Jamais. La pornographie, je peux m’en passer. Je ferai avec mon imagination”, conclue-t-il, en plaisantant.

*Le prénom a été changé. 

Paul Florequin, Olivia Frisetti et Sahra Kadi-Pasquer