Avec «Bienvenue Mr.Marshall», Luis Garcia Berlanga débute dans le long-métrage en 1953. Dans cette comédie satirique, la première d’une longue série, il raille l’asservissement de son Espagne face au pouvoir, et l’image de sauveur des Etats-Unis de l’après-guerre.
Il fait nuit noire à Villar del Rio. Demain le village castillan de 1642 habitants reçoit la visite d’une délégation américaine dans le cadre du plan Marshall. Une aubaine pour cette bourgade paysanne de l’Espagne des années 50. Tous attendent la venue des sauveurs d’outre-Atlantique. La veille, certains réclamaient des jumelles, des clarinettes ou des tracteurs, comme une liste au Père Noël, que le génie États-unien exaucerait sans souci. La voix off, présente dès les premières secondes du film, conte alors les songes des habitants de ce patelin.
Dans ces rêves américains, les villageois se fantasment en héros de western, en conquistadors ou en prisonniers politiques du Ku Klux Klan. Et si les personnages de Villar del Rio imaginent tantôt l’Amérique couverte de paillettes, tantôt comme une terre d’indiens sauvages ou de criminels, ils n’hésitent pas à travestir leur authenticité pour accueillir le convoi Marshall. Don Pablo, maire du hameau, somme tous ses administrés de se déguiser en danseurs Andalous. Cocasse, pour un village situé en pleine Castille. Les préparatifs tournent au ridicule, quand la mairie fait installer de faux bâtiments typiques, remplaçant les vieilles et pauvres bâtisses du hameau, allant jusqu’à installer un clocher factice.
En utilisant ces clichés, le réalisateur Luis Garcia Berlanga illustre le regard stéréotypé que posent à l’époque les autres pays occidentaux sur l’Espagne. Tout n’est que flamenco, chapeaux andalous et ambiance chaleureuse. La misère de la campagne profonde est cyniquement balayée, participant au ton acide de cette comédie remuante.
Sortie en 1953, cette oeuvre en noir et blanc, s’affirme comme une critique de la posture salvatrice des Etats-Unis et de son plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale. Armé de son ironie caractéristique, Garcia Berlanga dépeint une Espagne en pleine espérance de modernité, apportée par l’Amérique providentielle. Une attente, vaine, d’un progrès qu’il décrit comme futile à travers les demandes superficielles des personnages. Car au-delà du reste, ce qui prime pour le cinéaste espagnol, c’est avant tout “la valeur du cœur” comme le dit le curé de Villar del Rio. Une vertu que le réalisateur attribue aux paysans les moins naïfs. Le cinéaste s’érige en défenseur de cette classe paysanne espagnole, soulignant tout au long du film la condescendance des représentants politiques du pays à son égard. Ces derniers méprisent les habitants de Villar del Rio, se trompant dans le nom du village, le qualifiant de porcherie, paraissant aveuglés par l’envie d’impressionner les Américains lors de leur passage.
Lauréat du Prix de la bonne humeur au Festival de Cannes l’année de sa sortie, «Bienvenue Mr.Marshall» mérite assurément ce titre. Mais derrière les sourires, la malice de Garcia Berlanga pointe les maux d’une société espagnole en pleine crise autoritaire, à qui il demande de garder son esprit de fraternité.
Pierre Berho
Bienvenue Mr. Marshall, DE LUIS GARCIA BERLANGA. ESPAGNE. 1H35.