Avec son film « Prison 77 » sorti en 2022, le réalisateur Alberto Rodríguez dépeint le quotidien des prisonniers espagnols à la mort du dictateur Franco. Un bon moyen de comprendre les débuts de la mouvance démocratique à l’œuvre dans le pays, tout en restant derrière les barreaux.
Février 76. Trois mois après la mort du dictateur Franco. L’Espagne est dans une phase de transition et se met à rêver de démocratie. Au cœur de Barcelone, un lieu coupé du monde se trouve au centre de manifestations libérales à grandes échelles : la prison Modelo.
À première vue, parler d’un rêve de liberté dans le milieu carcéral n’a rien de novateur. Mais le film « Prison 77 » d’Alberto Rodríguez le devient, en ce qu’il ancre son récit dans une mouvance historique plus large. Une envie de justice et de démocratie qui ne se cantonne pas aux prisonniers de l’époque, souvent injustement condamnés, mais s’élargit à toute une population qui a subi durant 39 ans l’autorité aveugle d’un dictateur.
Pendant deux heures, le réalisateur enferme le public dans la prison. Un lieu sombre et captivant où tente de survivre Manuel Gomez Garcia, un jeune comptable accusé d’avoir dérobé un million de pesetas à son employeur. Un motif qu’il réfute et dont il espère pouvoir se défendre lors d’un procès qui n’arrivera jamais.
Un combat pour l’amnistie
Très vite, ce personnage énigmatique, dont on ne sait rien à l’exception du fait qu’il vient d’un bidonville surplombant Barcelone, se confronte à la réalité des prisons. Violence des gardiens envers les détenus, torture, isolements abusifs, corruption… Manuel encaisse les coups. Un espoir l’aide à tenir : la démocratie arrive. L’amnistie avec.
La réussite de l’œuvre d’Alberto Rodríguez se fonde sur un formidable contraste entre deux visions du monde. En prenant le parti pris de ne pas montrer ce qui se joue politiquement dans les rues espagnoles, le réalisateur fait de la prison le miroir de la société. Une société tiraillée entre héritage franquiste et aspirations libérales.
Modelo incarne cette tension. Avec d’un côté le gang de Marbella, tyran de la prison qui deale avec les gardes et promeut la violence, et de l’autre, quelques intellectuels qui fondent la Coordination des prisonniers en lutte.
Supprimer les lois injustes
Cette « Copel » concentre toutes les victimes de la « Loi sur les fainéants et les malfaiteurs » instaurée par Franco, et dénonce les enfermements arbitraires de l’époque. Vagabonds, nomades, précaires et homosexuels, considérés comme « antisocial », se retrouvent derrière les barreaux sans délits avérés. Mais au nom de la menace qu’ils représentent pour la société.
Le réalisateur se joue de cette injustice en faisant régulièrement revenir la question première en prison : « Pourquoi t’es là ? » Personne, à l’exception de Manuel et Boni, médecin, homosexuel et créateur de la Copel, ne sera en mesure d’y répondre.
Les idées du collectif démocrate gagnent peu à peu du terrain dans les ailes de la prison. Et atteignent leur paroxysme en juin 1977, lors des premières élections démocratiques espagnoles. Pour Manuel et les détenus, il devient urgent de dénoncer au grand public leurs sinistres conditions de détention pour que les électeurs poussent en faveur d’un gouvernement susceptible de voter l’amnistie.
Une soif de liberté
L’insurrection est en marche et propulse les prisonniers sur le toit du bâtiment carcéral. Une première fenêtre ouverte sur le monde, où le film aux images sombres prend une tournure plus lumineuse, vite refermée par la répression. Plus tard, les membres du collectif se tailladeront tous les veines pour réclamer la présence des médias et obtiendront gain de cause. L’Espagne saura enfin ce qu’ils subissent.
Pourtant, Manuel et ses camarades assistent impuissants au rejet de l’amnistie par le gouvernement en place quelques mois plus tard. Une ultime injustice pour les prisonniers qui, guidés par un espoir de liberté trop longtemps contenu, décident de s’évader.
Cette fin, bien que illustrant des faits réels (175 détenus se sont évadés des prisons espagnoles en 1978), retombe dans les épilogues communs des films sur les prisons. Même si on aurait aimé un autre dénouement, « Prison 77 » pose un regard original et très documenté sur l’un des épisodes marquants de l’histoire de l’Espagne.
Marius Caillaud
« Prison 77 » d’Alberto Rodríguez, film espagnol, 125 minutes, 2022