L’intelligence artificielle, un médecin high-tech pour traiter le cancer du sein ?

Loin de se limiter à la rédaction automatique de dissertations, l’intelligence artificielle se présente comme un allié précieux dans la lutte contre le cancer du sein, notamment grâce à ses capacités d’analyse d’image. 

“Il existe encore une défiance du monde médical, qui craint que l’IA ne vienne remplacer le médecin”, juge Françoise Mallemouche-Boquien, radiologue spécialiste des cancers du sein à la polyclinique Bordeaux-Nord-Aquitaine (PNBA). Interrogée par Les Echos, la docteure fait plutôt partie de ces médecins qui prônent l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans la lutte contre le cancer du sein. Tout comme Françoise Mallemouche-Boquien, vingt-six médecins radiologues appellent, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, à utiliser davantage l’IA pour le dépistage des cancers du sein par mammographie. 

Depuis 2020, le cancer du sein féminin (les hommes peuvent également, dans de très rares cas, développer un cancer du sein) est devenu le cancer le plus fréquent et le plus diagnostiqué dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une étude publiée en 2021 du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), institut de l’OMS basé à Lyon, a établi qu’un total de 2,3 millions de cas avaient été diagnostiqués dans le monde en 2020, soit un nombre plus élevé que celui des nouveaux cas de cancers du poumon.

Qu’est-ce que le cancer du sein ?

Le cancer du sein correspond au dérèglement de certaines cellules présentes dans la glande mammaire. Celles-ci se multiplient et forment le plus souvent une masse, appelée tumeur. Dans le cas d’un cancer, on dit de la tumeur qu’elle est “maligne”. Détecté tôt, le cancer du sein guérit dans 9 cas sur 10. Certains cancers du sein sont agressifs, c’est-à-dire qu’ils se développent rapidement, tandis que d’autres évoluent plus lentement.

La phase de détection du cancer consiste en un examen des seins et une mammographie, voire une échographie, qui peuvent être complétés par une IRM. La mammographie permet de détecter les lésions cancéreuses et les tumeurs. Des rayons X sont envoyés à travers les seins, afin de produire des images des tissus mammaires. L’étude de ces dernières permet de détecter la maladie à un stade précoce. Ainsi, le traitement sera moins lourd et plus facile que si le cancer était détecté à un stade plus avancé. Le prélèvement par biopsie vient confirmer la présence du cancer, et donner des informations sur son origine. Dans son ensemble, le diagnostic permet d’orienter vers une décision thérapeutique. 

L’IA, “une aide au diagnostic”

Pour les vingt-six radiologues signataires de la tribune dans Le Monde, le progrès technique et technologique qu’est l’intelligence artificielle constitue une avancée majeure pour le domaine médical. Dans le cas du cancer du sein, elle représente un progrès majeur pour la phase de dépistage. Plusieurs technologies médicales et scientifiques utilisant l’intelligence artificielle (IA) se sont développées ces dernières années. Elles ont en commun d’avoir eu recours à l’apprentissage profond (ou deep learning) pour apprendre à reconnaître les cancers. L’apprentissage profond consiste à faire fonctionner l’IA comme un cerveau humain grâce à des algorithmes et à la soumettre à de grandes quantités de données pour qu’elle apprenne. Pour le cancer du sein, les IA ont appris et se sont entraînées à reconnaître les tumeurs et les zones suspectes grâce à des milliers d’images issues de mammographies anonymisées.

L’IA vient donc, dans un premier temps, améliorer et renforcer des méthodes de dépistage déjà existantes, telles que la mammographie. Compléter cet examen avec la tomosynthèse – une technique d’imagerie – permet d’obtenir une image reconstituée en trois dimensions du sein et l’IA va être utilisée à ce stade de l’examen, pour lire les images obtenues et détecter les éléments relatifs à un cancer (tumeurs, lésions…). 

C’est “une aide au diagnostic dans un contexte d’augmentation exponentielle du nombre d’images médicales à analyser”, pointe Françoise Mallemouche-Boquien, radiologue à la polyclinique Bordeaux-Nord-Aquitaine, dans Les Echos. Depuis 2018, le service de radiologie de l’établissement bordelais utilise le logiciel d’aide au diagnostic Breast-SlimView. L’outil, développé par la société nantaise Hera-MI, consiste à masquer les éléments physiologiquement normaux dans le sein, pour ne mettre en avant que les endroits à risque. Cette technologie s’oppose à d’autres systèmes concurrents, dans lesquels l’IA va venir entourer les zones suspectes et potentiellement à risques dans le sein. Hera-MI a nommé son procédé “négativation”. Sur son site, la société met en avant l’avantage pour les radiologues : “s’affranchir de l’information superflue et visualiser en un coup d’œil les zones potentiellement suspectes”.

Des résultats prometteurs

Plusieurs études internationales publiées ces dernières années sont venues confirmer la pertinence et l’importance de l’utilisation de l’IA pour le dépistage des cancers du sein. Les vingt-six chercheur·ses de la tribune rappellent que l’étude prospective suédoise Mammography Screening with Artificial Intelligence trial (Masai), publiée dans la revue The Lancet Oncology en août 2023, a démontré que le fait d’utiliser l’IA comme outil de triage augmentait notamment le nombre de cancers détectés.

Une autre étude réalisée en Suède a utilisé l’IA en deuxième ou troisième lecture des images, après qu’elles ont été analysées par un·e radiologue expert·e. Publiée dans The Lancet en septembre 2023, elle montre que l’IA augmente le nombre de mammographies nécessitant un bilan complémentaire (échographie, biopsie, chirurgie)”, écrivent les chercheur·ses dans la tribune du Monde. Il faut cependant le rappeler, les médecins humains gardent le rôle principal : l’IA sert à les aider dans leur travail en offrant une précision supplémentaire et une réduction de leur charge de travail, et non pas à les remplacer. 

L’IA n’a pas fini de surprendre le monde de la santé. Chaque patient·e atteint·e d’un cancer du sein a 10 % de chance de rechuter après son traitement initial. Une solution imaginée par la start-up franco-américaine Owkin pourrait bientôt permettre aux médecins d’évaluer plus facilement les risques de rechute, afin de les éviter. L’hôpital Bicêtre AP-HP expérimente le dispositif, encore en développement, depuis décembre 2023. Ce modèle d’IA évalue le risque de rechute après chirurgie de la tumeur avec précision, en se basant sur l’analyse d’images des tissus mammaires. Un lueur d’espoir et un filet de sécurité rassurant pour les patient·es sujet·tes à la rechute, qui leur permettra de bénéficier de thérapies ciblées selon les cas.  

Loéva Claverie, Athéna Salhi et Corentin Teissier