La montée en puissance des IA génératives facilite la création de faux profils. Suffisamment pour inquiéter les traqueur⸱ses des brouteur⸱ses.
“J’aurai dû me méfier, une fois, alors qu’il était censé être au Maroc, j’avais eu une notification disant que son Iphone était connecté à une box d’Abidjan”. Catherine a été victime d’un brouteur il y a quelques mois. Ces escrocs, souvent basé⸱es au Ghana, au Nigeria ou en Côte d’Ivoire, se font passer tantôt pour des pinups, tantôt pour des footballeurs. Ils et elles se servent d’Instagram, Facebook ou TikTok pour aborder leurs victimes, les séduire, les faire tomber amoureux⸱se et leur soutirer de l’argent.
Des escrocs à l’aise avec le numérique, pour qui les nouveaux outils d’IA de plus en plus performants sont un véritable atout. Capables de simuler certains aspects de l’intelligence humaine ou de donner vie à des photos en mimiquant des traits humains, ces nouveaux programmes informatiques accessibles à tous⸱tes sont du pain bénit pour les brouteur⸱ses.
“Avec l’IA n’importe qui peut faire parler une photo”
Les victimes sont souvent des femmes de plus de 40 ans et ces relations fictives peuvent durer de quelques semaines à plusieurs années. Catherine a été abordée en janvier 2022, pendant 28 longs mois, son arnaqueur, présenté sous les traits du footballeur italien Claudio Marchisio, lui soutire plus de 250 000 euros.
“Avant, il n’y avait jamais d’appel, encore moins de vidéos envoyées, ce qui pouvait mettre la puce à l’oreille. Maintenant, avec l’arrivée de l’IA, tout va changer. N’importe quel logiciel gratuit peut faire parler une photo et pousser l’illusion jusqu’au bout », s’inquiète Thierry Baut un “traqueur de brouteur” comme il se définit. “Il y a dix ans, j’ai assisté une victime et son cas m’a donné envie de m’impliquer plus, depuis j’en ai assisté des milliers, presque une par jour”.
Avec son association, l’Assistance aux victimes d’arnaqueurs sentimentaux (AVAS), il propose des stages de sensibilisation et un soutien émotionnel aux victimes. “Parfois ce sont les victimes qui viennent nous voir, mais souvent ce sont des proches, des membres de la famille.” Le plus difficile est de combler la dépendance affective qui s’est créée entre le ou la brouteur⸱se et la victime : “le brouteur devient quasiment un gourou dans ces cas-là”. Et, Thierry Baut accompagne les victimes pour porter plainte même si, les escrocs étant généralement hors Union européenne, “très peu obtiennent gain de cause”.
Campagnes de sensibilisation contre le numérique
Alors, depuis quelques années, le travail de l’AVAS a dû s’adapter. “Nous faisons maintenant des stages de sensibilisation aux outils d’intelligence artificielle, par exemple, je mets une photo dans le logiciel Suno qui l’a fait bouger, on semblerait presque regarder une vidéo tellement l’outil est bluffant. Nous avons eu quelques cas de victimes tombées dans le piège”, développe Thierry Baut. « Heureusement, les brouteurs ne sont pas encore très doués dans ce domaine, mais une fois qu’ils auront appris à s’en servir, de plus en plus de victimes se feront prendre, c’est un risque à anticiper”.
Un risque qui a d’ailleurs déjà été ciblé par Tinder, la célèbre application de rencontre. “En janvier 2023, nous avons lancé une campagne de sensibilisation contre les arnaques à l’amour avec tout le groupe Match (Tinder, Hinge, Meetic…)”, explique le groupe. Plusieurs conseils se détachent : ne pas sortir de l’application, organiser des appels vidéos pour vérifier que les interlocuteur⸱ices ressemblent bien à leur photo de profils, ne jamais donner ses coordonnées bancaires.
“Il faut tout faire pour qu’il y ait le moins de victimes possible, mais les risques ne font qu’augmenter avec l’arrivée de IA, il faudrait mieux encadrer la pratique”, conclut Thierry Baut.
Orianne Gendreau