“Les Camps, secret du pouvoir chinois”, ce documentaire bouleversant de Tania Rakhmanova revient, témoignages à l’appui, sur la genèse et l’évolution du système concentrationnaire chinois, dans lequel 20 millions de prisonniers y sont morts depuis plus de 80 ans.
Les camps de rééducation par le travail sont nés sous Mao Zedong. © Licence Creatives Commons
Tout commence en 1942, dans la violence de la guerre civile chinoise qui oppose les nationalistes aux communistes. Depuis la ville de Yan’an, Mao Zedong, le chef du bras armé du Parti communiste chinois (PCC), prépare sa longue marche vers le pouvoir. Son objectif est simple : être à la tête du Parti et du pays. Et gare à ceux qui se mettraient en travers de sa route, y compris dans son propre camp. Pour Mao, ascension rime avec répression. Afin de faire taire les voix dissidentes et éliminer ses rivaux, il s’inspire de la terreur stalinienne des années 30 et lance une campagne de rectification des esprits au sein du PCC. Tortures, travaux forcés, autocritiques… C’est le début du Laogai, le système concentrationnaire chinois né sous Mao et modernisé par Xi Jinping.
Des petites histoires pour raconter la grande
Les Camps, secret du pouvoir chinois, le documentaire en deux parties de la journaliste Tania Rakhmanova et du sinologue Jean-Philippe Béjà, est une plongée dans l’horreur. En plus de 80 ans, au moins 50 millions de Chinois sont passés par des camps de rééducation par le travail. 20 millions y sont morts. L’ampleur du dispositif est glaçante. Tout comme les témoignages filmés des survivants devenus exilés. Pour parler de leur vie dans les camps, marquée par les violences psychologiques et physiques, les humiliations et la faim, tous ont un mot à la bouche : “terreur”. Quand les mots pour décrire l’indicible manquent et que les vidéos pour le montrer font défaut, ce sont des dessins en noir et blanc qui nous disent l’effroi. Les historiens, eux, n’ont voix au chapitre qu’à travers celle de la narratrice. “Je n’aime pas les documentaires trop analytiques, explique Tania Rakhmanova. Je veux que les spectateurs s’identifient aux rescapés des camps, seul le témoignage des concernés permet cela.” Mission réussie.
À travers le prisme du système concentrationnaire, c’est l’histoire de la Chine moderne qui nous est habilement racontée. Une histoire marquée par la pensée unique et la répression, mais aussi par des micro-résistances.
Montrer l’espoir derrière la peur
C’est là aussi la force de ce documentaire : nous montrer qu’en Chine le lavage des cerveaux n’est pas si efficient que cela. Après la mort de Staline en 1953 et celle de Mao en 1976, ou même après l’échec de la politique économique du “Grand bond en avant” de 1961, il y eut des périodes où s’épanouissait la critique contre le pouvoir en place. À l’image des manifestations de la place Tian’anmen en 1989. Les contestations sont tour à tour réprimées, les attentes de démocratie tuées dans l’œuf. En 2012, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, dont le père avait été étiqueté “ennemi du peuple” sous Mao, laissait entrevoir l’espoir d’une rupture avec l’héritage maoïste. Il n’en fut rien. Pire : “aujourd’hui, les déportations dans le Laogai menacent n’importe qui”, souligne face caméra un dissident. “Pour combien de temps encore ?” Personne ne semble avoir la réponse. Ne reste qu’une chose à faire : documenter et ne pas passer sous silence, en espérant des jours meilleurs.
Adam Lebert