Le documentaire « Une Française à Kaboul : l’aventure d’une vie » raconte au travers du parcours d’Elisabeth Naim Ziai, l’évolution des droits des femmes en Afghanistan. Un scénario original et bien mené mais qui tombe à certains moments dans la caricature.
Une Bretonne devenue Afghane. Née au début du XXème siècle, Elisabeth Naim Ziai a eu une vie improbable. Tombée follement amoureuse du cousin du roi d’Afghanistan en 1926, elle quitte sa terre natale, Saint-Malo, pour le suivre au Moyen-Orient. Cette idylle, digne d’un conte de fée, est très vite confrontée à la réalité. Elisabeth doit se plier aux politiques restrictives du pays en matière de droits des femmes. Un choc pour l’Afghane d’adoption qui décide alors de prendre part à la lutte pour conquérir ces droits. Elle use, ainsi, de la posture de son mari, proche de la royauté, pour y insuffler un esprit féministe.
Ce combat, les réalisatrices Marie-Pierre Camus et Charlotte Erlih s’en servent intelligemment pour narrer l’évolution des droits des femmes afghanes des années 1930 aux années 1980. « Notre volonté est de raconter qu’un chemin très intime peut raconter un acte plus grand », explique Marie-Pierre Camus, l’une des autrices.
Un choix d’autant plus intéressant qu’il résonne avec l’actualité. Le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan en août 2021 a balayé les avancées des droits des femmes, acquis au cours des deux décennies précédentes. Interdiction de s’instruire, de travailler, de sortir sans être accompagnées d’un homme. Elles sont aussi obligées de porter le voile.
« L’ennui mortel »
Cette réalité fait tristement écho au vécu d’Elisabeth, un siècle plus tôt, sous le règne du roi conservateur Habidullah Ghazi. Dans ses cahiers, elle raconte sa vie, recluse à la maison, les journées monotones et « l’ennui mortel » dans lequel elle s’enfonce lentement tel un animal piégé dans des sables mouvants. Mais, au gré des volontés politiques, des opportunités s’offrent à elle. Ses convictions chevillées au corps, elle ouvre un institut pour femmes à Kaboul. Cet édifice devient un refuge pour les femmes de la capitale. Elles peuvent y lire, suivre des cours d’alphabétisation, y faire garder leurs enfants et regarder des films jusque-là interdits pour elles. Bientôt, Elisabeth ouvre le premier salon de beauté de Kaboul.
Sa trajectoire impressionnante est parfaitement détaillée tout au long du film grâce à la richesse des archives collectées par les réalisatrices. Photos, vidéos, cahiers intimes et lettres, les ressources sont colossales. Aucune interview ne complète d’ailleurs le récit, « la narration suffit pour le porter », affirme Charlotte Erlih. Seules les voix d’un homme et d’une femme sont utilisées pour incarner Elisabeth et son mari. Ce travail chirurgical fait la force du documentaire auquel on peut, tout de même, reprocher quelques faiblesses.
Un manque de contexte
Presque systématiquement, l’histoire personnelle d’Elisabeth est utilisée comme porte d’entrée pour raconter les avancées des droits des femmes afghanes. Un choix de réalisation qui mène parfois à faire des liens trop simplistes entre les actions d’Elisabeth et les choix politiques sur l’émancipation des femmes. « On a été obligé de simplifier tout en restant très fidèle à
l’Histoire », se justifie Charlotte Erlih. C’est ainsi qu’un défilé organisé par la Française, alors tête nue – une révolution dans le contexte historique – est présenté comme les prémices « même modestes » d’un mouvement plus large d’ouverture du pays. Un peu facile à dire sans plus d’éléments de contexte.
Ce défaut amoindrit le propos du film, frôlant la caricature de l’européenne sauveuse du destin des femmes afghanes. A cette réserve près, ce film inattendu rend hommage à un destin jusqu’ici inconnu.
Isabelle Veloso Vieira @Isabellevlv