Maître de conférence à l’Institut polytechnique de Bordeaux (IPB), Adrien Vincent estime que construire une IA verte est possible et qu’elle pourrait même nous aider à relever le défi du dérèglement climatique.
Adrien Vincent est chercheur au laboratoire de l’intégration, du matériau au système (IMS).
Aujourd’hui, quels sont les ressorts sur lesquels nous pouvons jouer pour rendre l’IA plus verte ?
Adrien Vincent : Il n’y a pas de solution miracle, mais il y a certaines tendances contre lesquelles on peut envisager de lutter, sachant que les solutions ne seront pas toutes technologiques. Aujourd’hui, on utilise une représentation des données qui cherche à minimiser l’erreur, les pixels, avec une très grande précision ; or cela demande plus de calculs et des volumes de données monstrueux. Une manière simple de réduire le coût est donc de représenter les données avec une précision moindre. Moins il y a de bits, moins l’ordinateur aura besoin de cycles de calculs pour arriver au résultat. Le résultat sera certes plus grossier mais on aura utilisé moins de puissance de calcul. Et moins on a de données à transmettre, moins on consomme. Si on souhaite l’image d’un chat et qu’il y a plein de pixels colorés, on reconnaîtra quand même un chat. La question en fait est de savoir dans quelles mesures tel ou tel algorithme peut accepter une dégradation des données. Si on gagne beaucoup sur la consommation énergétique, on peut le tolérer.
Pourtant, on sait que la consommation énergétique du numérique risque fortement de s’accroître dans les années à venir. Comment l’expliquer ?
A.V : Parce que les solutions pour réduire le coût environnemental de l’IA ne sont pas toutes technologiques. Nous, scientifiques, on peut faire de la recherche pour essayer de mieux réaliser les opérations, d’améliorer les algorithmes, de pousser toujours plus pour réduire la consommation énergétique. Mais il y a un levier sur lequel nous n’avons pas du tout la main qui est l’utilisation faite de ces solutions. C’est un phénomène connu en économie qui s’appelle l’effet rebond et qui a tendance à inverser les gains. Au lieu de se réduire, la consommation augmente car il y a un usage toujours plus grand et accru. Si demain, on met sur le marché quelque chose qui va consommer 100 fois moins d’énergie, mais qui a 1000 fois plus d’utilisation, de cas d’usage de cet algorithme, on aura une augmentation de la consommation. Et c’est l’un des vrais risques avec l’IA aujourd’hui.
L’IA semble aussi pouvoir nous aider à réduire son impact environnemental. Comment ?
A.V : Les IA proposent des solutions différentes de celles auxquelles l’humain aurait pensé. C’est ni moins bien ni mieux que certains outils aujourd’hui à notre disposition. C’en est juste un nouveau. Prenons l’exemple des échecs. La manière dont on joue actuellement aux échecs est différente de celle d’il y a 50 ou 100 ans. Aujourd’hui, des systèmes d’IA sont très au-dessus des meilleurs joueurs mondiaux. Pour ces “grands maîtres”, l’intérêt est de s’en servir pour explorer tout un tas de stratégies qui n’auraient pas été explorées naturellement par l’Homme, parce que cela va à l’encontre des principes que l’on enseigne. Dans le domaine des échecs comme dans celui de l’environnement, les systèmes d’IA permettant d’explorer des solutions contre-intuitives pour l’humain mais gagnantes. Cela peut être intéressant pour faire du développement d’ingénierie ou de la recherche de matériaux. L’impact que ça pourra avoir va dépendre de la manière dont on l’utilise.
Propos recueillis par Adam Lebert et Timothée Gimenez