Les femmes sont surreprésentées au sein des métiers du « care ». Elles constituent 87 % des infirmièr·es, 97 % des aides à domicile et 99 % des assistant·es maternelles. Des fonctions indispensables en société, toujours très précaires. En cause, la mauvaise reconnaissance de leurs compétences et une professionnalisation encore récente.
Une journée qui débute à 7 h 30. Des trajets en voiture. Une demi-heure par patient. Attendre. Repartir. Faire manger, changer, accompagner. Attendre encore. Et repartir. Faire les courses, laver, faire dîner. Rentrer à son domicile personnel à plus de 20 heures.
Ce quotidien, c’est celui des aides à domicile, dont 97 % sont des femmes. Parmi elles, « beaucoup de mères célibataires, salariées isolées, qui gagnent en moyenne 1000 euros net par mois », explique Laetitia Maure, représentante syndicale nationale à la CGT des aides-soignantes. « Nous avons une amplitude horaire de 12 heures mais un planning en gruyère, nos temps de déplacements ne sont pas pris en compte et nous avançons les frais. » Elle ajoute que 85 % des aides à domicile sont en temps partiel subi.
Mal reconnues, mal payées
Laetitia Maure déplore la faible reconnaissance de son métier «invisible, mais très utile». Avec la CGT, elle se dit en lutte permanente pour atteindre une meilleure reconnaissance sociale et salariale. « Entre le Covid et le scandale d’Orpéa, nous avons bien vu que notre métier est un métier d’avenir, indique Laetitia. Et pourtant, nos salaires n’ont que très peu été augmentés. »
À partir du 1er janvier 2023, une heure d’intervention est rémunérée 23 euros, seulement un euro de plus qu’en 2021. Alors, pour Laetitia Maure et ses collègues, la lutte continue : « Nous ne sommes pas numérisables, pas industrialisables, pas délocalisables. Je dirais même que nous sommes les ouvrières du XXIe siècle ! »
Le 29 septembre 2020, les députés François Ruffin et Bruno Bonnell (LFI) ont présenté un rapport dans le but de revaloriser les « métiers du lien », à savoir les auxiliaires de vie sociale, les aides à domicile, les accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH), les assistantes maternelles et les animatrices périscolaires. Une proposition de loi a été issue de ce rapport. Tous ses articles, sauf un, ont été rejetés par la majorité.
Des métiers de femme
Ce rapport souligne plusieurs pistes pouvant expliquer la faible reconnaissance des métiers du “care”. Il qualifie la société « [d’]extrêmement tolérante » à la précarité de ces salariées. Les économistes Séverine Lemière et Rachel Silvera expliquent : « On a tendance à nier la composante technique de ces pratiques et à les reléguer dans le champ du comportement personnel, du purement informel, voire du naturel. » En clair, ce seraient des tâches réalisées dans la vie personnelle en tant que mère, épouse, ou fille. Des tâches considérées comme normales ou habituelles… pour les femmes. Or, la plupart de ces métiers nécessitent entre 9 et 36 mois de formation. Mais, comme les femmes représentent 87 % des infirmièr·es, 97 % des aides à domicile et 99 % des assistant·es maternelles, la société ne reconnaît pas la valeur du travail qu’elles fournissent.
La sociologue Annie Dussuet, auditionnée à l’Assemblée nationale le 13 novembre 2019 à propos des aides à domicile, présente aussi cette thèse : « C’est parce que ce sont des femmes que l’on accepte que ces travailleuses soient moins payées. »
Le poids de l’histoire
Ces métiers du « care » sont en fait récents. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, s’occuper d’une maison, d’enfants ou de personnes âgées, ne constituait pas une profession rémunérée. C’est ce qu’expliquent les chercheuses Geneviève Cresson et Nicole Gadrey. Servante, employée de maison, nourrice, autant d’activités « à la frontière du salariat ».
L’histoire des métiers du sanitaire et social est encore plus récente. Par exemple, le métier d’infirmière ne s’est organisé qu’à partir des années 1920. Il a fallu attendre 1956 pour une structuration du métier d’aide-soignante, tout comme pour les métiers de la petite enfance. Enfin, pour les métiers de l’aide à la personne, qui se rapprochent des métiers domestiques, leur organisation n’est estimée qu’à partir des années 1970 et 1980. Avant leur structuration, ces métiers étaient exercés bénévolement, par des religieuses ou par des membres de la famille. Pour toutes ces raisons, il est encore difficile pour les femmes qui occupent ces professions de se débarrasser de ces vieilles représentations. Et d’obtenir la pleine reconnaissance pour leur travail.
Un autre frein maintient la précarité des travailleuses du care. Elles pâtissent des difficultés à se mobiliser et à faire pression sur les institutions pour se faire entendre. Le journaliste Pierre Rimbert a travaillé sur ce point : « Il est très difficile d’organiser des luttes et des grèves dans ces métiers, il n’est pas envisageable d’arrêter de nourrir une personne en situation de dépendance de la même manière que l’on peut arrêter un train ! » Laetitia Maure, aide à domicile, le confirme. « Nous faisons un métier de l’humain. Nous ne pouvons pas mettre les patients en danger pour faire grève. » Mais en plus de ces freins humains, l’aide à domicile identifie une autre limite à la mobilisation : comme ce sont des femmes, leurs voix ne sont pas écoutées.