Avec la réforme des retraites, les inégalités salariales et professionnelles entre les femmes et les hommes sont à nouveau pointées du doigt. A l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, état des lieux sur la persistance des inégalités économiques.
Dans les cortèges des mobilisations contre la réforme des retraites, elles sont nombreuses. Les femmes touchent une retraite inférieure de 40% en moyenne à celles des hommes, avec 967 euros bruts par mois contre 1600 euros pour les hommes, d’après la DREES. «La retraite est un miroir grossissant des inégalités que subissent les femmes», affirme l’économiste féministe et professeure à Paris-Nanterre, Rachel Silvera. Le système des retraites reproduit et amplifie les inégalités salariales. Cet écart est plus que jamais un enjeu de la lutte pour l’égalité des genres.
En 2019, en France, les hommes gagnent en moyenne 28% de plus que les femmes, d’après l’INSEE* (voir graphique). Tous temps de travail confondus, les femmes gagnent en moyenne 1 582 euros net par mois, les hommes 2 040 euros net, selon les données 2019 de l’INSEE. L’écart entre femmes et hommes est de 458 euros par mois en moyenne.
Une femme sur trois travaille à temps partiel
Pour l’expliquer, on note encore et toujours les différences de temps de travail entre hommes et femmes. «Le temps partiel reste très féminisé», explique Rachel Silvera. Une femme sur trois travaille à temps partiel. C’est le cas d’un homme sur dix environ. Et elles effectuent souvent moins d’heures supplémentaires. L’économiste affirme qu’il ne s’agit pas souvent d’un choix de la part des femmes mais bien d’une contrainte, faute de mieux. «Beaucoup d’employeurs des secteurs très féminisés ont eu recours au temps partiel comme un mode de gestion de la main d’œuvre », décrypte Rachel Silvera. Parmi les secteurs féminisés on retrouve les métiers du care (aide à la personne, aide à domicile, assistante maternelle, infirmière…) dans lesquels les femmes représentent entre 87 et 99% du personnel. Des métiers souvent dévalorisés et mal payés. «On a beau les avoir applaudis avec le Covid, et les avoir reconnus comme des métiers essentiels, que ce soit en première ou en deuxième ligne, ça n’empêche qu’ils sont systématiquement dévalorisés», déplore l’économiste.
D’après les données 2021 de l’INSEE, 27 % des salariés à temps partiel déclarent vouloir travailler plus. Les femmes étant beaucoup plus nombreuses parmi les personnes à temps partiel, elles comptent pour près des trois quarts à des temps partiel contraints, selon l’Observatoire des inégalités. «Sans parler du fait que parmi celles qui demandent un temps partiel pour l’éducation des enfants, c’est aussi parce qu’il y a des contraintes familiales», ajoute Rachel Silvera.
Même en comparant les salaires à durée de travail égale, les hommes perçoivent 19% de plus que les femmes. C’est là qu’entre en piste le plafond de verre. Une image pour traduire la difficulté des femmes à accéder aux postes les plus élevés dans la hiérarchie professionnelle. Comme ces postes sont aussi les mieux rémunérés, fatalement, l’absence de femmes dans les plus hautes sphères fait baisser la moyenne des salaires féminins. Plus on s’intéresse à des métiers qualifiés, plus l’écart s’agrandit. Et même à poste comparable, à profession identique chez le même employeur, il reste une différence, qui s’élève à 4,4 % dans le secteur privé en 2021. C’est la manifestation la plus pure de discriminations de genre dans le milieu du travail.
50 ans après, une loi pas appliquée
Pour lutter contre ces écarts salariaux, un certain nombre de lois ont été promulguées depuis le début des années 1970. La première d’entre elles, c’est la loi du 22 décembre 1972. Elle pose le principe de l’égalité de rémunération «pour un même travail ou un travail de valeur égale». Pour Rachel Silvera, les chiffres sont clairs : 50 ans après, cette loi n’a toujours pas été appliquée. «On observe qu’à qualification égale, à diplômes équivalents les salaires sont beaucoup moins élevés dans les secteurs d’activité très féminin que dans des secteurs plus masculins.»
D’autres mesures ont vu le jour depuis. La dernière en date, c’est l’index de l’égalité, qui a fêté ses quatre ans le 1er mars 2023. Ainsi, depuis 2020, toutes les entreprises de plus de 50 salarié.es ont l’obligation de publier un score qui mesure l’égalité entre les femmes et les hommes selon un certain nombre de critères, dont «le retour après la maternité» ou «la parité dans les 10 plus hautes rémunérations». Si l’indice est inférieur à 75, l’entreprise doit aussi publier des mesures pour remédier à ses manquements. Depuis les premiers baromètres, les scores moyens ont globalement augmenté, passant de 84 en 2020, à 85 en 2021 et 86 l’an dernier. Mais les syndicats fustigent une mesure qui invisibilise toujours les écarts de salaire. La CGT dénonce par exemple l’absence de prise en compte du montant des augmentations. Seul le nombre de femmes et d’hommes augmenté.es est pris en compte.
Agir par les tribunaux
Malgré tout, les lignes bougent. En novembre dernier, la CFDT BNP Paribas a obtenu gain de cause devant les tribunaux après avoir attaqué la banque deux ans auparavant, pour sa méthode de calcul des écarts de salaire entre femmes et hommes, l’un des critères de l’« index de l’égalité ». Problème : BNP Paribas tordant les critères définis dans cet index, ne prenait pas en compte les bonus sur les salaires. Selon la CFDT, chez BNP Paribas SA, en 2021, le salaire fixe des femmes était de 20 % moins élevé que celui des hommes. Elles ont également perçu une rémunération variable inférieure de 36 % à celle des hommes. L’organisation n’a pas fait appel de la décision, et a annoncé allouer une enveloppe de 10 millions d’euros à la lutte contre ces inégalités.
Lors d’un meeting organisé contre la réforme des retraites par le média indépendant Politis le 15 février, Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac, s’est emparé du micro pour montrer que l’égalité salariale est un bien commun. «Si aujourd’hui l’égalité des salaires était réalisée, ça correspondrait à une augmentation de cotisations pour les caisses de retraites autour de 30 milliards. C’est un levier pour à la fois améliorer le financement des retraites et aussi améliorer l’égalité.»
Margaux Longeroche et Ysé Rieffel
*c’est le revenu salarial qui est pris en compte, c’est-à-dire la somme de tous les salaires perçus par un individu au cours d’une année donnée, nets de toutes les cotisations et contributions sociales, y compris contribution sociale généralisée (CSG) et contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).
Le dossier :
A quelques jours du 8 mars 2023, nous avons décidé de revenir sur ces inégalités salariales dans le monde du travail. Ce système économique reste encore pensé par et pour les hommes.
- Un constat partagé par Lucie Peytavin, historienne et autrice de l’ouvrage «Le coût de la virilité». Une interview réalisée par Margot Favier.
- Dans ce système inégalitaire, la ségrégation professionnelle reste un enjeu majeur. Dans les professions très féminisées du soin d’abord, où règne la précarité et le manque de reconnaissance. Un décryptage de Maud Pajtak.
- Même dans les métiers les plus diplômés comme celui d’orthophoniste, la sous-rémunération est de mise, et la mobilisation compliquée. Des témoignages recueillis par Ségo Raffaitin.
- Et à l’inverse dans les professions très masculines, les femmes doivent lutter pour faire leur place. Un article de Fanny Baye et Shan Cousineau.
- Cette lutte elles la portent aussi dans le monde de la culture, où les représentations restent encore sexistes, et où les femmes peinent à obtenir une rémunération à la hauteur de leur travail. Une analyse menée par Colombe Serrand, Ségo Raffaitin et Aude Cazorla.
- Face à ces enjeux, il faut peut-être repenser ce monde du travail dans une organisation plus inclusive. Et les débats récents autour d’un congé menstruel soulignent les difficultés à faire bouger les choses. Un décryptage de Cha Toublanc.
- Dans cette lancée, la parité parmi les fondatrices et les fondateurs de start-up ne sera pas atteinte avant 2090 en France. Un article d’Alexandre Tellier.