Diffusé pour la première fois l’année dernière sur France 5 à l’occasion des 80 ans du statut des Juifs, “La France catholique face à la Shoah” a été présenté en salle au Festival International du Film d’Histoire de Pessac. Le documentaire de Marie-Christine Gambart et Laurent Joly livre un récit riche et complexe des liens entre l’Église et le pétainisme.
Trente-cinq ans seulement après la loi de séparation des Églises et de l’État, difficile d’imaginer que l’influence de celle-ci sur la société se soit évaporée à l’heure de la Seconde Guerre Mondiale. La place de l’Église catholique dans le régime de Vichy est pourtant un sujet complètement mis de côté lorsque l’on évoque cette période sombre.
Accompagnée de l’historien Laurent Joly, Marie-Christine Gambart répare avec brio cet oubli grâce à un documentaire riche d’images d’archives et d’analyses universitaires. Intense, le rythme ne perd jamais l’attention du spectateur. Suivant la chronologie, de l’arrivée au pouvoir de Pétain, en 1940, à la Libération de 1944, il montre l’ambivalence d’une Église soucieuse de préserver ses bonnes relations avec le Maréchal après avoir été bannie par la IIIe République. Une Église qui encourage à la mise à l’écart des Juifs mais refuse leur mise à mort. Une Église, surtout, à laquelle 90% des Français sont encore fidèles lors de l’invasion allemande.
La recontextualisation est au cœur de la démarche du film. Nous sommes à une époque où la France envahie est humiliée par la défaite et où le Maréchal apparaît comme le garant de l’identité française. Une identité chrétienne, où le curé du village est encore un personnage phare de la vie rurale. C’est ainsi que Pétain, lui-même non croyant, a besoin du soutien de l’Église pour asseoir sa légitimité. Il va même jusqu’à la consulter avant de mettre en place le statut des Juifs.
Un protagoniste du film illustre à lui seul les errements de l’institution : le cardinal Gerlier. C’est à lui que l’on doit la célèbre phrase “Pétain, c’est la France et la France, aujourd’hui, c’est Pétain”, prononcée le 19 novembre 1940 pour appeler les fidèles à soutenir massivement le chef de l’État et sa politique de collaboration. C’est aussi lui qui, en réaction à la rafle du Vel-d’Hiv deux ans plus tard, provoquera l’entrée en Résistance de nombreux catholiques en rédigeant une lettre ouverte dénonçant la déportation des Juifs. “Il a fini par se rappeler à son bon devoir de chrétien, qu’il n’aurait jamais dû abandonner”, expliquait Marie-Christine Gambart après la projection au festival de Pessac.
Car la réalisatrice s’attache à montrer le tiraillement qui a traversé l’Église pendant la guerre, entre une base de fidèles soucieuse du sort des Juifs et un épiscopat évitant de se mouiller sur la question. La Résistance catholique sera, elle, bien plus nette, avec des figures comme Edmond Michelet et le père Chaillet, fondateur de la revue clandestine “Cahiers du témoignage chrétien” en 1941. Avant l’arrivée des premiers résistants catholiques, déterminés à protéger leurs frères juifs, leurs camarades de combat n’en faisaient pas une cause majeure et privilégiaient la lutte contre l’ennemi allemand.
Avec un recul précieux, “La France catholique face à la Shoah” nous offre un point de vue rare, mais si important pour comprendre les heures les plus sombres de notre histoire. Un éloge de la nuance, qui présente une époque où l’on pouvait être à la fois pétainiste et hostile à la déportation des Juifs. À la fois fidèle aux valeurs conservatrices chrétiennes et résistant en clandestinité. À l’heure où le rôle du régime de Vichy dans le sort des Juifs français revient dans le débat politique, un éclairage historique sur l’Église rappelle ce qu’étaient vraiment la collaboration d’État et la Shoah. Les sanglots et les yeux embués de certains spectateurs durant la projection montrent que Marie-Christine Gambart et Laurent Joly ont visé juste.
Anthony Derestiat
“La France Catholique face à la Shoah”
Marie-Christine Gambart et Laurent Joly, 70 min